On peut toujours écrire, On peut toujours lire...
Claude Ber vous répond.
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dimanche 19 avril 2020
par Claude BER
Claude Ber vous répond.
Claude Ber vous répond
Félicitations à toutes et tous ! Vos textes m’ont beaucoup touchée. S’y expriment votre sensibilité et votre singularité. C’est d’abord cela écrire, rendre partageable ce qui nous est propre, faire de notre expérience singulière, expérience commune. À la fois aller au plus près de soi et s’anonymer… Exercice de funambule qui exige un peu de courage pour s’y risquer, mais il s’y gagne tant que mieux vaut chuter que ne pas oser – chuter n’est pas grave, c’est la seule façon d’apprendre quand, comme les cavaliers, il faut se remettre aussitôt en selle et persévérer.
Impossible de répondre à chaque texte en particulier. Alors en vrac, chacun pouvant s’y retrouver même s’il n’est pas cité, quelques remarques que vos lignes m’ont inspirées.
L’écriture est attention et imaginaire. D’abord attention, écoute des cinq sens aux aguets. Précision de l’attention au sensible. À ma vue « la lueur framboise du ciel et la clarté sombre de l’océan » de Julie, « le mirabellier » de Katia, « les petits cailloux de Cyril « qu’on peut trouver un peu partout dans le monde » et ce ciel comme une « étrange cour d’eau » sous le regard d’Elsa. À mes oreilles les applaudissements journaliers, « les mésanges et bourdons » d’Elsa, le coassement des « corbeaux » de Mélanie, « l’échelle tapant sur le mur, la scie taillant les haies » de Clélia, « le bruit des ailes » d’insectes de Léna, « le vent qui sifflote » chez Cyril et bruit dans tant de textes, l’air murmurant à l’oreille d’Olivia et ce « bruit de cerise qui tombe » dans le silence chez Florian, ce silence qui fait écouter… À mes narines une « odeur de paysage », comme l’écrit William, et en elle « l’odeur de fleur de vanille » de Maëlys, celle « humide et fraiche du gazon » d’Elsa, celle, dispersée, des averses… À ma main « la caresse » alternée de la fraîcheur de la nuit et de la chaleur du soleil, qui reviennent en leit-motiv, ou bien la « fourrure des alpagas » de Kiara… Les voilà, d’ailleurs, qui déboulent dans un jardin imaginaire : « des alpagas, bruns, blancs, noirs ou acacia » que rejoignent « chevreuil et ours » de Florian ou « les deux poules grises » reprises en refrain par Arthur. L’attention convoque aussi l’imaginaire dans une invite à voir ce qu’on ne voit pas. Il se peut, alors, comme pour Anis, qu’un « rayon de lumière vienne se poser sur la main tel un oiseau sur un perchoir. » et qu’on puisse « l’emmener avec soi ». Il se peut… La fenêtre est grande ouverte à tous les possibles. Aussi bien à une rêverie de vacances sur le sable de l’océan qu’au désir de retour aux jeux partagés dans la rue et la cour de l’école, élan vers l’avenir et nostalgie se joignant à l’horizon d’une mer invisible.
« De tes soixante-dix centimètres de longueur et ton mètre de hauteur, tu es, malgré ta petite taille, la porte entre le monde paisible et calme et le monde bruyant de l’intérieur. », écrit Thomas s’adressant à la fenêtre de sa chambre. L’écriture entière est une porte, porte ouverte sur le dehors et sur le dedans, vers soi et vers les autres. Si la fenêtre fermée est parfois « un mur qui ne laisse passer qu’un seul de nos sens » comme le note Noé, la porte-fenêtre de l’écriture s’ouvre largement à qui s’y aventure sur le tout de nous-mêmes, du monde et des autres... Des visages y apparaissent, qui questionnent, dialoguent, se reconnaissent semblables et distincts. Ce sont, chez beaucoup d’entre vous, ceux de voisins inconnus applaudissant ensemble les soignants, ceux de passants comme un vieil homme et son chien, dont s’imagine l’existence, ceux qu’évoque la songerie amoureuse comme chez Noémie… Et vos visages, tous vos visages aperçus à travers vos textes.
C’est cela l’imprévu. Ce qui surgit sous nos yeux quand, enfin, pleinement présents au présent, nous l’accueillons, le percevons, l’entendons quand entendre signifie à la fois voir et comprendre et quand écrire est une façon d’être présent au monde.
L’imprévu, ce peut être, bien sûr, le soudain confinement qui vous désoriente, vous angoisse parfois, le surgissement d’un animal fabuleux comme chez Enguerrand, un couac d’orchestre chez Romane, mais c’est aussi l’inattendu du quotidien, de la menue monnaie de nos vies saisi par l’écriture quand écrire en redonne le goût unique et irremplaçable.
L’imprévu c’est l’écriture elle-même, qui transforme l’ordinaire en surprise. « Regarder à travers ma fenêtre c’est un peu comme s’en remettre au hasard » écrit Raphaëlle, il y a de ce hasard et de cette surprise au détour de la langue. Il y a toujours de l’imprévu et de l’imprévisible dans l’écriture, du pesé, compté, calculé et du lâcher prise, l’important c’est que, sur ce fil, entre exigence et consentement à son inattendu, elle fasse court-circuit, vous éveille et éveille.
Amitiés à chacun et à chacune. Et continuez d’écrire !
Claude Ber